Inventai dunque una me stessa che voleva un'aggiunta al mondo J'inventai donc une autre moi-même qui voulait un ajout au monde
Anna Maria Ortese

Silvia Ricci Lempen, écrivaine, scrittrice

J’écris. J’ai écrit, j’écris, j’écrirai. Je raconte des histoires. Je me bagarre avec les idées. J’écrivais, je suis en train d’écrire, j’aurai écrit.
Scrivo. Ho scritto, scrivo, scriverò. Racconto storie. Mi accapiglio con le idee. Scrivevo, sto scrivendo, avrò scritto.

Femmes et hommes de pouvoir, les stéréotypes de la séduction

Cet article a été écrit dans le cadre de l’opération «Le Temps des femmes» organisée par le journal «Le Temps» qui, le 3 février 2008, a confié la fabrication de son édition du lendemain à une soixantaine de personnalités féminines de Suisse romande. Il a paru le 4 février 2008.

«Les hommes préfèrent rester entre eux. On ne peut pas parler de la relation entre séduction et pouvoir, de la manière différente dont cette relation se vit chez les femmes et chez les hommes, sans lever ce malentendu fondamental: dans les sphères où s’exerce le pouvoir, il n’y a pas de symétrie, les gens que les hommes veulent fréquenter, ce sont ceux de leur sexe!»

A ce préalable radical d’Anne Bisang, directrice de la Comédie de Genève, fait écho celui tout aussi radical d’Isabelle Graesslé, directrice du Musée de la Réforme de Genève: «Les identités attribuées aux femmes et aux hommes sont le résultat d’une construction socioculturelle placée sous le signe de la domination patriarcale. Si on ne pose pas cela dès le départ, on ne peut tenir aucun discours sur la différence entre les sexes en matière de séduction et de pouvoir.»

Séduction, charisme, rayonnement, capacité d’entraîner, d’enthousiasmer par la mise en scène de soi aussi bien que par l’habileté à communiquer: à notre ère médiatique, souligne avec force Karin Keller-Sutter, conseillère d’Etat à Saint-Gall, ces facultés sont devenues indispensables pour quiconque souhaite obtenir et exercer une part de pouvoir, dans n’importe quel domaine. «La séduction est théoriquement plutôt considérée comme une stratégie des femmes dans la sphère privée et non comme une stratégie des hommes dans la sphère publique», note Patricia Schulz, directrice du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes. Pour beaucoup d’hommes, ce mot est un tabou. «En réalité, ils fonctionnent à la séduction dans leurs domaines de pouvoir tout autant que les femmes dans les relations interpersonnelles.» Et même, ils y réussissent très bien, puisqu’ils ont en réalité tous les atouts en main pour combler cette exigence informelle, qui n’est codifiée nulle part, mais qui pèse lourd dans le développement des carrières. A la question de savoir si les femmes et les hommes sont égaux face à l’usage de la séduction dans la sphère publique, l’immense majorité des femmes de pouvoir que nous avons interrogées répond catégoriquement que non.

«Les attentes à l’égard des femmes et des hommes ne sont pas les mêmes, affirme Karin Keller-Sutter. Des hommes, on attend qu’ils dépassent la moyenne par leur rayonnement, il suffit de revoir certaines prestations télévisées de John Kennedy pour s’en convaincre. Cela peut aller jusqu’à l’excès qui dérange d’un côté mais qui séduit de l’autre, comme c’est le cas pour un Christoph Blocher. Des femmes, on attend qu’elles soient compétentes, intelligentes, travailleuses, comme Angela Merkel, mais qu’elles ne se fassent pas trop remarquer. Or, la séduction va de pair avec le flamboiement, pas avec la sobriété.»

Pour Patricia Schulz, les hommes bénéficient d’une cohérence entre les stéréotypes de la séduction masculine et ceux du pouvoir, tandis que les stéréotypes de la séduction féminine ne sont pas compatibles avec ceux du pouvoir. Leyla Belkaïd-Neri, directrice de la filière mode à la Haute Ecole d’art et design de Genève, abonde dans ce sens.

«Il suffit d’observer la question de l’habillement. Un homme s’habillera à peu près de la même manière pour emmener une femme au restaurant que pour convaincre un conseil d’administration: costume bien coupé, belle chemise, etc. Une femme, en revanche, portera, pour un rendez-vous amoureux, une robe du soir, de la dentelle visible… Choisir une mise affriolante dans une situation professionnelle serait pour elle une erreur fatale. L’homme active le même cerveau dans toutes les situations, la femme active tantôt le cerveau droit et tantôt le cerveau gauche.» Mais pour la designer de mode, loin d’être un objet de déploration, cette différence illustre la richesse, la multiplicité du féminin. «J’aime à me référer à la figure de la déesse Athéna. On a voulu faire d’elle un être asexué, alors qu’elle incarne une forme de séduction qui intègre à la fois l’intelligence, le savoir, la subjectivité, la sensibilité humaine…

Merveilleuse faculté de métamorphose ou clivage intérieur destructeur? Quoi qu’il en soit, si clivage il y a, il se décline de différentes manières. «Ce qui est terrible, observe Isabelle Graesslé, c’est que, pour avoir une chance de devenir des sujets du pouvoir, les femmes doivent utiliser justement les stratégies de séduction qui font d’elles des objets.» La théologienne songe en particulier aux comportements basés sur la première des deux faces de l’«éternel féminin», la face «charme et beauté», que la plupart des femmes briguant ou exerçant un poste à responsabilité se sentent, d’après elle, obligées d’activer, au moins un peu. Mais l’autre face, la face «maman rassurante», semble être encore plus prisée par les femmes qui s’aventurent dans des mondes masculins.

«Dans un monde scientifique très masculin, raconte Christine Bouchardy, médecin cheffe de service du Registre genevois des tumeurs, j’ai choisi dès le début de jouer la carte de la naïveté et de me profiler comme la maman à qui on peut tout dire. Je traite ces hommes comme s’ils étaient mes fils. En somme, j’ai détourné le stéréotype de la faiblesse féminine pour me donner une image rassurante, empathique. D’autres choisissent le registre de l’hystérique ou de la camionneuse… Quoi qu’il en soit, j’affirme que toute femme évoluant à un certain niveau hiérarchique doit modifier sa personnalité pour combler le handicap d’être une femme.»

La maman, c’est aussi celle qui, aux antipodes du narcissisme masculin, se met à l’écoute des autres, s’efforce de les aider à s’épanouir. «Les hommes se préoccupent beaucoup de leur ego et jouent avec les événements de la vie professionnelle comme avec les pièces d’un échiquier», soupire Heidi Diggelmann, professeure honoraire à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne. «L’attrait qu’ils exercent tient à leur prestige, tandis que les femmes, qui privilégient le relationnel, rayonnent par la satisfaction qu’elles cherchent à répandre autour d’elles.»

Parmi ces points de vue variés mais plus complémentaires qu’opposés, celui de Nicola Thibaudeau se distingue par son optimisme. Pour la CEO de Microprecision Systems à Bienne, il est évident que la séduction joue un rôle important dans l’économie, mais les différences dans ce domaine tiennent plus aux personnalités individuelles qu’au sexe. Si des différences entre femmes et hommes existent, elles tiennent uniquement au fait que les uns et les autres appartiennent respectivement à une minorité et à une majorité. Le monde de l’économie, que l’on dit patriarcal, serait-il finalement moins sexiste que la médecine, la culture ou l’université?