Inventai dunque una me stessa che voleva un'aggiunta al mondo J'inventai donc une autre moi-même qui voulait un ajout au monde
Anna Maria Ortese

Silvia Ricci Lempen, écrivaine, scrittrice

J’écris. J’ai écrit, j’écris, j’écrirai. Je raconte des histoires. Je me bagarre avec les idées. J’écrivais, je suis en train d’écrire, j’aurai écrit.
Scrivo. Ho scritto, scrivo, scriverò. Racconto storie. Mi accapiglio con le idee. Scrivevo, sto scrivendo, avrò scritto.

La pub, le foot, les femmes et l’imagination

Publié sur ce site le 8 juin 2010

L’image des femmes dans la publicité : les «Chiennes de garde»* aboient et la caravane passe. Eva Saro, directrice de EyeWatch/Fondation images et société, rappelait il y a quelques jours à Lausanne que, depuis quarante ans qu’on s’occupe du problème, les lois du genre n’ont pas beaucoup changé. Dans les publicités, surtout – mais pas seulement – celles qui vantent les mérites des articles de luxe, les femmes ont généralement la peau plus claire que les hommes. Elles sont souvent couchées dans des poses alanguies, alors que les hommes ont le torse bien droit, bandent leurs muscles et scrutent l’horizon. Elles ont la bouche pulpeuse et entr’ouverte, ils serrent les mâchoires avec une mâle décision. Et ainsi de suite, jusqu’à l’écœurement.

L’imagination, me suis-je dit en voyant défiler toutes ces images déjà mille fois vues. L’imagination, la folle du logis ! Les publicitaires continuent à lui imposer la camisole de force des stéréotypes ; et ça fonctionne, puisque ce sont les stéréotypes qui, paradoxalement, donnent l’impression gratifiante de réenchanter le morne quotidien… et prédisposent à la consommation. Cimes enneigées, mer bleue et cocotiers, femmes disponibles et hommes déterminés. Nos émotions sont prisonnières des conventions, et la publicité, qui, elle, n’est pas folle, les exploitera tant que ça marchera – se contentant de quelques variations, plus ou moins audacieuses, mais toujours calibrées, inspirées aux «créatifs » par l’air du temps. «Capitaine un œil» (bandeau noir de pirate) et «Princesse yeux bleus» (boucles blondes et robe rose) iront encore longtemps manger ensemble sur les affiches des restaurants de la Migros.

Ce qui nous fait rêver vient de très loin, et l’imagination n’est révolutionnaire que chez les artistes – des deux sexes – les plus pointus. Dans notre vie de tous les jours, nous marinons avec délices dans ce bain d’images connues et rassurantes. C’est de la publicité, on ne peut pas lui demander de scier la branche sur laquelle elle est assise. Mais ce qu’elle révèle de notre intime conservatisme montre, si besoin était, que s’agissant d’hommes et de femmes, changer les images est infiniment plus difficile que changer les lois, voire les comportements conscients.

Ces réflexions intemporelles ne sont pas sans rapport avec l’actualité la plus brûlante, celle qui se passe du côté de l’Afrique du Sud. Il y a quatre ans, j’avais lu un reportage sur la passion croissante des femmes pour le Mondial. Elles sont de plus en plus nombreuses à regarder les matches, à s’enthousiasmer et à savoir commenter les goals. Mais ce qui m’avait frappée – quoique pas vraiment étonnée – c’est que les femmes interviewées avouaient sans détours leur manque d’intérêt à l’égard du football féminin. De nos jours les filles peuvent faire aussi du foot, il y a des équipes féminines, des tournois. Mais rien n’y fait, ce qui excite les gens – les hommes, bien sûr, mais également les femmes – c’est uniquement le football masculin.

Bien sûr, les footballeurs sont souvent de beaux gars, et il est tout à fait compréhensible que les spectatrices apprécient de les voir évoluer sur le terrain. De plus, les équipes du Mondial sont les meilleures de la planète, et aucune équipe féminine, même au plus haut niveau, ne peut offrir, en l’état actuel des choses, des prestations de la même qualité. Mais il y a autre chose. Il y a la fête globale, la célébration d’un mythe «universel» … qui, génétiquement, est un mythe masculin. Et on ne change pas la génétique d’un mythe : si on veut en jouir aussi, on le prend comme il est.

Quel rapport, direz-vous, avec la pub ? Eh bien, là aussi il s’agit de l’inconscient collectif, de la machine à produire les fantasmes. La différence sexuelle est une de ses matières premières. Dans la publicité, les clichés les plus éculés entretiennent auprès du public des deux sexes les mythes de la «vraie femme» et du «vrai homme», qui font mieux vendre que le glauque «unisexe». Ce qui se passe avec le foot est d’un autre ordre. C’est une colonisation douce, et consentie, de l’imaginaire d’un sexe par celui de l’autre. Les femmes s’emballent pour un jeu qui, au départ, est par excellence une pure histoire de mecs. Et elles en dédaignent la version féminine, parce qu’elle manque d’aura, parce que, depuis toujours, c’est le football viril qui fait battre les cœurs. Les femmes copient les émotions des hommes, qui après tout ne sont ni pires ni meilleures que celles que dispense la lecture de Gala. Mais question «mythe universel», il y a comme un défaut…

A moins de se prendre pour Pol Pot, personne ne peut souhaiter modifier par décret les fantasmes. Mais une chose est sûre, à l’ère de l’égalité formelle, des quotas et des plans de promotion des femmes, ce qui résiste, c’est l’imagination.

 

*Nom d’un groupe de féministes qui luttent contre les publicités sexistes