Inventai dunque una me stessa che voleva un'aggiunta al mondo J'inventai donc une autre moi-même qui voulait un ajout au monde
Anna Maria Ortese

Silvia Ricci Lempen, écrivaine, scrittrice

J’écris. J’ai écrit, j’écris, j’écrirai. Je raconte des histoires. Je me bagarre avec les idées. J’écrivais, je suis en train d’écrire, j’aurai écrit.
Scrivo. Ho scritto, scrivo, scriverò. Racconto storie. Mi accapiglio con le idee. Scrivevo, sto scrivendo, avrò scritto.

Relire Dostoïevski

Publié sur ce site le 5 mai 2010

Je suis en train de relire L’Idiot de Dostoïevski. A ce qu’il paraît, quand on prétend qu’on «relit» un classique, la plupart du temps, en réalité, on ne l’a jamais lu. Enfin, je parle des gens de ma génération, pour qui ce genre de coquetterie a encore un sens. Je doute que, quand ma petite-fille (sept mois) sera adulte, faire croire à son réseau social qu’on est en train de «relire» Dostoïevski puisse garantir un quelconque prestige. Quoi qu’il en soit, L’Idiot, je l’avais vraiment lu, à l’époque des stencils et de l’Olivetti 32.

Je suis donc en train de relire L’Idiot. Comme je l’avais chez moi, je n’ai pas eu besoin de le commander à une librairie on line. Cette circonstance me dissuade d’exprimer mon avis, sur une échelle de zéro à cinq étoiles, à l’intention de mes camarades internautes. Je serais d’ailleurs bien en peine de le faire. Déjà, le livre est long et je risque de ne pas le terminer. On n’a pas idée de fourguer aux lecteurs presque mille pages, qui plus est impropres à un traitement multi-tâches, à cause de tous ces noms russes à tiroirs : le temps de répondre à un mail et de faire un saut sur You-tube, vous ne savez déjà plus si Elisabeth Prokofievna est bien la femme d’Ivan Fedorovitch ou n’est pas plutôt celle d’Eugène Pavlovitch.

Mais même en admettant que j’en vienne à bout, pas évident de savoir combien d’étoiles mérite le produit L’Idiot du dénommé Dostoïevski. Le livre, ai-je lu la semaine dernière, dans le Guide du Salon de Livre de L’Hebdo, doit désormais être «un objet de désir et de séduction». Il ne faut surtout pas qu’on puisse le soupçonner d’être «pas assez fun, pas assez sexy, à la page». Diable, me dis-je, pour L’Idiot, ça m’a l’air mal parti. C’est vrai que je n’ai lu que 450 pages, mais jusqu’ici en tout cas l’histoire est assez nulle, et les personnages ne sont pas vraiment cool. Très peu d’action et beaucoup de parlote. Et puis, comment un livre paru en 1868 pourrait-il, aujourd’hui, être «à la page» ?

Pourtant, la rédactrice en chef adjointe de L’Hebdo ne semble avoir rien contre les classiques. Si elle «fantasme sur Monica Bellucci offrant sa plastique aux dernières parutions de Gallimard» , elle rêve aussi «de marques de fringues branchées qui font poser des rappeurs avec Madame Bovary». Certes, Flaubert est un poil plus excitant que cette âme en peine de Dostoïevski, mais l’époque est à peu près la même. Alors ? Apparemment il y a quelque chose qui m’échappe.

En relisant l’éditorial, je m’aperçois effectivement que je me suis fourré le doigt dans l’œil. Les qualités érotiques invoquées n’ont rien à voir avec des caractéristiques qui seraient propres à tel ou tel ouvrage, tandis qu’un autre serait en soi un remède contre l’amour. Ce dont il est question, c’est bien du livre en général, de l’«image véhiculée» par l’objet livre, de «son aura dans l’inconscient collectif». C’est cette aura par trop austère qu’il convient de changer, en empruntant les rutilances de la concurrence qui squatte désormais le haut du pavé culturel.

A la bonne heure! Il s’agit seulement de communication, et de nos jours la communication, c’est bien connu, peut faire des merveilles: convaincre que les chats aiment mieux le saumon que le carrelet ou que les Irakiens s’apprêtent à détruire la planète. Il y a de l’espoir pour toutes les œuvres, les nouvelles, les anciennes, les compliquées et même les philosophiques. Tenez, j’ai fait un essai avec le début de L’Idiot, sous forme rappée c’est follement ludique : PAR une matinEE de fin noVEMBRE/ha/VERS neuf heures, en PLEIN dégel/ha ha ha/Le TRAIN de VarsoVIE/ha ha ha ha/apprOCHAIT à toute VApeur de PE/TER/SBOURG.»